Les peintures médiévales du chœur de l’église
La restauration des peintures du chœur de l’église a été réalisée par l’atelier
Jouve-Malfatto. Le résultat de ce long travail est étonnant, magnifique, au delà de ce que nous osions espérer.
Il a mis à jour la présence de deux couches de peintures superposées sur les murs et la voûte du chœur : une première couche estimée du XIVème siècle par Mesdame Dominique Rigaux et Annick Clavier. Cette même estimation a été proposée par Monsieur Alain de Montjote, Conservateur du patrimoine et Archéologue au département de l’Isère, spécialiste de l’architecture religieuse.
Des fragments de l’un ou l’autre décor étaient souvent superposés, le niveau le plus récent recouvrant des parties importantes, visages, mains ou vêtements. A cette complexité, s’ajoutaient les dommages causées par le temps et les infiltrations d’eau. C’est dire toute la difficulté de la restauration.
Un protocole de restauration a été établi pour permettre la différenciation des deux décors. Seuls quelques éléments qui brouillaient trop la lecture ont été recouverts d’un léger badigeon réversible qui assure en outre leur conservation.
Un fin liseré blanc marque pour l’observateur la limite entre les deux niveaux de décor.
Plutôt que de parler de fresques, il convient d’évoquer à Venon de peintures «a secco» où l’on a appliqué les pigments de couleurs sur un support sec. Il n’ a pas été trouvé mention dans les textes de la date de réalisation exacte de ces peintures, ni du nom des artistes qui les ont réalisées.
Le mur Est (décor du XIVème siècle)
Elle occupe toute la partie à gauche de la fenêtre.
Le Christ est figuré selon le modèle iconographique de la Deesis bysantine,
très représentée en Italie. Il est cloué à une croix ocre rouge pour simuler le bois, la taille ceinte d'un périzonium soigné, les deux jambes superposées, la tête coiffée d'un nimbe jaune clair penchée sur l'épaule droite.
À gauche du Christ en croix, saint Jean se tient également dans une position traditionnelle : une main soutenant son visage en signe d’affliction ; l’autre, sur la poitrine, serre un livre, rappelant qu'il est l'auteur d'un des quatre évangiles. Il porte un pallium blanc à revers ocre brun descendant jusqu'aux chevilles.
On devine la Vierge à droite du Christ.
Le christianisme repose sur la croyance en un Dieu fait homme, Jésus-Christ, crucifié à Jérusalem. La Crucifixion de Venon est caractéristique du XIVème siècle : le fidèle est amené à méditer sur les souffrances de la Passion et le Christ n'est plus figuré vivant, vainqueur de la mort, comme aux premiers temps du christianisme. Mais ses souffrances demeurent contenues et la tristesse plus que la douleur imprègne la composition.
Saint Christophe
Un monumental saint Christophe, le saint Patron de l'église de Venon à cette époque, occupe toute la partie droite du mur Est, à droite de la fenêtre.
Sa taille est impressionnante comparée aux autres personnages, rappelant sa nature de géant. Le personnage occupe toute la hauteur du mur.
La lisibilité est difficile, la peinture s'étant dégradée au fil du temps et ayant été endommagée par des raccords de maçonnerie lors de la réalisation ultérieure d'une armoire encastrée dans le mur.
On distingue néanmoins le nimbe, au dessus d'un visage dont les traits ont disparu et de longs cheveux blonds ondulés qui descendent jusqu'aux épaules. Il est peint de face, statique, et porte sur son épaule gauche l’Enfant Jésus. Sa main droite tient un bâton et sa main gauche maintient les genoux de l’Enfant. Il est vêtu d’une tunique, de couleur jaune et son manteau, ocre à l'extérieur et blanc à l'intérieur, descend jusqu’au sol. De l'Enfant Jésus, on devine la position assise sur l'épaule du géant, la tête ceinte d'un nimbe crucifère jaune.
Dans l'histoire, saint Christophe Porte-Christ est "une pure construction médiévale, la rencontre d'un inextricable tissu de légendes orientales et occidentales". Selon Dominique Rigaux, "sans aucun doute, c'est la Légende dorée de Jacques de Voragine, composée vers 1261-1266, qui assura le succès de cette version en lui donnant une diffusion sans précédent".
Au début de ce culte en Occident, saint Christophe était invoqué pour protéger contre "la mort subite", c'est à dire la mort qui ne laisse pas le temps de se repentir et de recevoir les derniers sacrements. Les voyageurs étant parmi les plus menacés, saint Christophe fut par la suite invoqué par ces derniers. Ce culte aurait pris son premier essor dans les Alpes, où les chemins et certaines traversées de rivières ou de torrents grossis par la fonte des neiges s'avéraient dangereux.
Ultérieurement, la protection du saint s'est étendue à tout type de péril. Au pied de Venon, les gorges du Sonnant étaient souvent impraticables et Venon constituait le passage obligé pour remonter dans la vallée d’Uriage. Le chemin était raide, difficile, particulièrement l’hiver. De là, très probablement, l’attribution à saint Christophe du patronage de l'église de Venon.
Le saint Christophe de Venon semble être un compromis entre les représentations du début du XIIème siècle où le saint est figuré debout sur la terre ferme, portant le Christ adulte et celles qui apparaissent à partir du XIIIème siècle montrant le saint traversant les flots avec le Christ enfant.
Le mur Nord - Les apôtres (décor du XIVème siècle)
Les apôtres sont debout, nimbés, revêtus de longues tuniques couvrant des robes descendant jusqu'à leurs pieds nus.
Seuls les deux personnages de droite pour le mur Nord et les trois personnages de gauche pour le mur Sud ont conservé partiellement leur visage et leur nimbe; ailleurs on ne voit plus que les corps.
Les gestes des mains et les visages, tournés à droite ou à gauche, révèlent que, suivant un schéma très courant, les personnages se regardent deux à deux. Les attitudes sont stéréotypées : doigt qui désigne, main levée en salutation. Le dessin des corps, des visages, des mains et des vêtements est identique sur les deux murs. Il s'agit donc d'un ensemble homogène, peint par un artiste unique ou un atelier.
Les personnages sont identifiés par des lettres encore lisibles dans des phylactères pour deux d'entre eux : les lettres PA pour Paul et IO pour Io(h)annes, transcription latine de Jean. Saint Paul tient une épée de la main gauche, rappelant son martyre. Trois disciples au moins tiennent un livre.
On peut regretter que le temps et les infiltrations d'eau aient effacé les détails des visages des personnages. Un jeu d’inversion des couleurs sur les robes, des manteaux et des nimbes fait alterner le rouge, le jaune, et le blanc ; il évite ainsi à l'observateur de ressentir le nombre limité des tons employés.
La draperie (premier décor du XIVème siècle)
Dans l'une, un lavabo liturgique, dans l'autre certainement un lieu de rangement pour les objets du culte. Sans être exceptionnelles, ces doubles niches constituent un dispositif assez rare, en tout cas dans notre région.
Le mur Sud (deuxième décor du XVème siècle)
Ce décor recouvrait le premier décor sur l'ensemble de la voûte et des murs du chœur, même s'il ne subsiste plus aujourd'hui que dans les parties hautes des murs Sud et Est, qu'il est quasiment absent du mur Nord et très lacunaire sur la voûte.
Les observations très précises des restauratrices, sur la base des fragments retrouvés, permettent d'élaborer des hypothèses d'interprétation qui sont en accord avec d'autres décors peints contemporains ou légèrement plus anciens.
Le mur Sud présentait un décor dense et d’une grande complexité : les restauratrices ont découvert deux registres de près d'un mètre de hauteur portant plusieurs personnages, séparés par des bandes bicolores rouge et jaune.
Alors que le décor à droite de la fenêtre a pratiquement disparu, sur la partie haute du mur à gauche de la fenêtre sont dessinés trois personnages en buste, nimbés.
Le premier est représenté de face, vêtu d'une tunique bleue et d'un manteau rouge, tenant dans sa main gauche un livre jaune, peut-être l'Evangile. Sa main droite est levée devant sa poitrine.
Au centre, un homme vêtu d'une tunique rouge et d'un manteau de couleur jaune tient dans sa main droite un couteau. Il pourrait s’agir de l’apôtre Barthélemy qui, selon la tradition, aurait été écorché vif par le frère du roi Polémon d’Arménie.
Le troisième, vêtu d'une tunique rouge et d'un manteau bleu ou vert, tient également dans sa main un grand bâton courbé. Il pourrait être identifié à saint Jacques le Majeur, appuyé sur son bâton de pèlerin.
À partir des fragments retrouvés, les restauratrices et historiennes émettent l'hypothèse d'une nouvelle version des douze apôtres répartis sur le haut des murs Sud et Nord.
En partie basse du mur, le décor n'est plus visible aujourd'hui mais d'infimes fragments retrouvés permettent de penser qu'il existait un grand nombre de personnages sur les murs Sud, Nord, Est. Il est posé comme hypothèse qu'il s'agissait des vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse, répartis sur les trois murs, à raison de huit par côté.
et les huit vieillards de l’Apocalypse en partie basse
Le mur Est (deuxième décor du XVème siècle)
Surmontant la fenêtre, deux anges aux têtes nimbées, à la chevelure blonde et bouclée, sont vêtus de longues tuniques, verte pour l'une et jaune pour l’autre.
Ils se tiennent chacun de part et d'autre de la fenêtre, leurs ailes suivant la forme de la voûte.
Ils soutiennent à deux mains un médaillon circulaire où ne subsistent que quelques lambeaux peints, interprétés comme une représentation de l'Agnus Dei (Agneau de Dieu), accompagné de l'étendard de la Résurrection.
Ce motif apparaît déjà dans l'art carolingien, à partir du IXème siècle. L'"Agneau de Dieu" désigne Jésus-Christ dans son rôle de victime sacrificielle destinée à l'offrande pascale, l'agneau évoquant l’innocence tandis que la croix de l'étendard symbolise le salut et son triomphe sur la mort. Michel Mathieu, Historien, a confirmé cette interprétation en découvrant d'autres représentations de l’Agnus Dei très comparables.
Au-dessus de l'Agneau divin, l'arc formeret qui marque le passage à la voûte, est décoré de pyramides à redents imitant un crénelage. Certains merlons portent une fente évoquant une ouverture de tir. Il pourrait s'agir d'une représentation stylisée de La Ville sainte dans laquelle règne le Seigneur à la fin des temps, une représentation de la Jérusalem céleste.
Dans l’ébrasement de la fenêtre, on peut admirer un beau décor de rinceaux végétaux de couleur verte avec des petites fleurs à cinq pétales rouges et au cœur blanc.
Ce même motif se trouve dans l'embrasure de toutes les fenêtres. Ces représentations florales sont un poncif dans les décors médiévaux.
La voûte (deuxième décor du XVème siècle)
Sur la croisée d'ogives, divisée en quatre voûtains, la restauration a concerné les voûtains Sud et Est. Une restauration complémentaire pourrait être entreprise dans le voûtain Nord dont les fragments retrouvés, très lacunaires, ont été recouverts d'un badigeon réversible.
Le voûtain Est
Les restauratrices ont mis en évidence, sur un fond parsemé de fleurs, des fragments d'un Christ assis sur un trône de très grande taille.
Quelques éléments des pieds du siège seulement ont pu être dégagés. De part et d'autre du trône, des anges, qui semblent aller deux par deux, tiennent chacun un phylactère. En bas de l’aile, nous distinguons le départ du nimbe de l’ange. Près de la clé de voûte, le fragment présent indique l’emplacement du nimbe crucifère et des doigts…
La représentation du Christ semble occuper tout ce voûtain. Les fragments mis au jour sont très peu nombreux mais permettent d'identifier une Majestas Domini, le Christ de Gloire, inspiré de l'Apocalypse de Jean dont nous avons tenté la reconstitution ci-contre.
Dans la tradition iconographique chrétienne, le Seigneur trônant tient l'orbe de l'univers de la main gauche ou le Livre, et bénit de la main droite. Le trône est à haut dossier et ses pieds reposent sur une tablette. Il est vêtu d'un manteau - pallium - qui lui recouvre l'épaule gauche.
L’exigence d'une représentation du Christ en majesté constituait une demande récurrente des évêques de Grenoble au XVème siècle.
Le voûtain Sud
Cet ensemble d'anges de part et d'autre du trône et dans les voûtains pourrait faire allusion au jugement dernier dans l'Évangile de Mathieu (Mathieu 24. 31) ou dans l'Apocalypse de Jean (Apocalypse 4 et 5). Une autre hypothèse serait d'y voir le chœur des anges, les neufs chœurs angéliques, décrits par Denys l'Aréopagite, gardes célestes qui entourent la Majesté et annoncent le règne de Dieu pour l’éternité.
Le voûtain Ouest
A l’intérieur d’un cadre gris-bleu qui épouse la forme du voûtain, dans une composition triangulaire, est représenté un immense bouquet de deux rameaux d’olivier retenus par un nœud. Les feuilles sont de grande taille, de forme elliptique, colorées de jaune et ombrées. C’est un décor en trompe l’œil. L’olivier est le symbole du Christ.
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